mercredi 30 novembre 2016

L'Actualité Vidéoludique du Captain - Episode 03 : Novembre 2016

Après un mois de septembre rempli de jeux et un mois d'octobre rempli de suites, nous nous retrouvons dans un novembre pluvieux où les nouveautés stratégiques peinent à sortir de l'eau. Entre la rentrée et Noël, ce mois intercalaire propose des annonces et... d'autres annonces.

Eve Online : Ascension, la mise en orbite free-to-play


Présenter Eve Online, le jeu des Islandais de CCP Games, relève d'une certaine gageure tant il y a à dire. Dans ce titre "massivement multijoueur en ligne", vous vous retrouvez avec votre vaisseau spatial dans un gigantesque bac à sable (sandbox), où tout est à créer et à faire par les joueurs. A vous de faire votre chemin au milieu des guildes, des alliances et des factions du jeu, à commercer, à chasser des primes, à espionner, à guerroyer, et que sais-je encore, pour récupérer de l'argent, de l'expérience, et améliorer votre personnage ou votre vaisseau. Sorti initialement en 2003, il compte aujourd'hui sur la bagatelle de 40 mises à jour, apportant son lot de scénarii, de quêtes et de nouveaux vaisseaux, des minuscules chasseurs aux immenses vaisseaux de faction.

Avec son million de joueur, le jeu défie régulièrement la chronique autour d'immenses batailles réunissant des milliers de joueurs en même temps, et proposant des récits d'alliances tortueuses et de coups dans le dos. Car toute l'économie du jeu, des mines aux chantiers spatiaux, appartient aux joueurs, ou plutôt à des groupes de joueurs. Et l'univers proposé par CCP est énorme. Tout ceci amène au constat suivant : la difficulté et la patience requise par un débutant pour apprécier le titre sont légendaires. Aussi, la 41e expansion du jeu, intitulée "Ascension", rajoute désormais une partie gratuite à un jeu qui comptait depuis 13 ans sur un système d'abonnement mensuel. Ce nouveau modèle ne vous empêchera donc désormais plus de venir vous faire les dents sur un des MMO les plus complexes, les plus intéressants et les plus lents qui soit.

Planet Coaster, un parc pour les amuser tous


Deux séries de jeux vidéos ont marqué le jeu de gestion de parcs d'attractions, où il s'agit de monter des manèges et des attractions, d'attirer les consommateurs, de gérer les finances et de vous occuper des différents services : la série Theme Park et la série RollerCoaster Tycoon. Sorti en 1994, Theme Park lançait les Britanniques de Bullfrog Productions sur la voie du jeu de gestion, tandis que l'Ecossais Chris Sawyer lançait en 1999 la concurrence avec le premier RollerCoaster Tycoon. Le succès de cette dernière série s'est maintenu, mais les deux séries ont eu beaucoup de peine à se renouveler, avec des suites peu originales et parfois bâclées.

Le studio britannique Frontier Developments a produit quelques-unes de ces suites, mais a récemment sorti en version complète le nouveau et riche Planet Coaster, qui écrase la concurrence portée par Atari et son RollerCoaster Tycoon World, très à la traîne au niveau technique. Et le pari est réussi : le virage 2016 est enfin passé, le jeu est joli, et les options de customisation des attractions extrêmement étendues, donnant libre cours à l'imagination débridée des joueurs, bien plus que ce qui était proposé avant. Si la partie de gestionnaire n'est pas oubliée, le jeu gagne le pari de renouveler une formule qui remonte aux années 90. Ce qui est appréciable.

Total War : Warhammer, promenons-nous dans les bois


Après l'arrivée en fanfare du Chaos le jour de la sortie, des Hommes-Bêtes en juillet, et des nouvelles unités pour les quatre factions de base dans Grim and the Grave et The King and the Warlord (voir les épisodes de septembre et d'octobre), Creative Assembly compte revenir en décembre avec une faction forestière pour son dernier Total War. Désormais, il faudra compter au sud de la Bretonnie sur des Elfes Sylvains dans Realm of the Wood Elves. Ces cousins elfiques sont bien plus impliqués que leurs homologues d'Ulthuan dans les affaires du Vieux-Monde. Adeptes du tir à l'arc, du montage de cerfs sacrés, du domptage d'aigles et de l'invocation des esprits de la forêt, ils apporteront de la précision et de la rapidité à vos osts.

Comme pour les Hommes-Bêtes, ils disposeront de leur propre campagne, sur une partie plus ramassée de la carte de campagne. Il faudra défendre votre terre face aux hardes chaotiques. Les Elfes Sylvains disposent d'or et d'ambre. Cette seconde ressource est vitale pour faire évoluer votre Chêne Sacré, votre province-mère, ainsi que vous troupes. Il faut d'ailleurs savoir que les Elfes Sylvains peuvent capturer n'importe quelle province de la carte, contrairement aux autres races, mais seulement dans le but de les exploiter pour l'ambre ou pour établir des postes avancés. En bref, pour près de 17.49 euros, le studio propose encore une faction unique et originale, qui va étendre les possibilités du soft, même si la facture s'annonce une nouvelle fois salée. (ma news sur la Gazette)

Strategic Command WWII : War in Europe, le retour des hexagones


La série de wargame sur la Seconde Guerre Mondiale au tour par tour revient avec le studio Fury Software et son Strategic Command WWII : War in Europe. A l'instar d'un Hearts of Iron IV en temps réel, les développeurs reviennent à une carte hexagonale, à un jeu en tour par tour, et à une complexité impliquant de gérer ravitaillement, diplomatie, et tous les fronts de l'Axe ou des Alliés. 

Autant vous dire que la tâche ne sera pas simple. Toutefois, le chemin parcouru depuis 2002 et le Strategic Command : European Theater fait que les développeurs arrivent tant bien que mal à s'ouvrir un peu plus au grand public. Les mécanismes de jeu restent, mais l'emballage s'améliore et la façon de jouer aussi. Le système de jeu est plus simple à comprendre, et l'intelligence artificielle est toujours aussi retorse. Pour beaucoup de journalistes, ce Strategic Command est une excellente porte d'entrée au monde immensément complexe des wargames, ces jeux touffus adeptes des hexagones, de la tactique et de l'opérationnel.

En Vrac

- Un nouveau jeu de stratégie en temps réel se prépare dans un monde uchronique traitant des années 20, avec des méchas et des nations d'Europe de l'est, le tout pour 2018. Les développeurs allemands de King Art Games se lancent après le point & click et le jeu de stratégie en tour par tour dans le monde d'Iron Harvest, inspiré paraît-il des planches graphiques de ce monsieur. On attendra d'en savoir plus.


- Les développeurs de Creative Assembly préparent le futur : on retrouvera en février 2017 leur Total War Warhammer en version "Old World". On y verra normalement la faction de Bretonnie, qui, rappelons-le, est déjà implémantée dans le jeu de base. Pour les possesseurs du jeu, sachez qu'il vous sera tout de même possible de la télécharger. En attendant, on espère voir tous les DLC et tous les futurs DLC dans cette version (en grinçant des dents). Note complémentaire : le jeu vendu au prix fort ne sera PAS vendu avec les DLC...

- Pour vous consoler de l'élection présidentielle, voilà ce qu'ont pu dire des joueurs en intégrant Hillary Clinton à Crusader Kings II, et Donald Trump dans Democracy 3. Dans le dernier cas, sachez que cela a mal fini.

Mon article sur l'élection américaine.

- Hearts of Iron IV ne pouvait pas y échapper. La politique des DLC de Paradox Interactive s'enclenche à nouveau pour un futur nouveau contenu payant intitulé "Together for Victory". Il enrichira l'expérience de jeu pour les Britanniques et les pays du Dominion, tout en rajoutant quelques méchanismes. Sans oublier une amélioration de l'I.A. ?

- Les Britanniques du petit studio de Mode 7 avaient enchanté la critique en 2011 avec Frozen Synapse,  où les graphismes sommaires cachaient un jeu tactique de grande volée, où vous devez déterminer la conduite de vos bonshommes pendant les cinq prochaines secondes. Et gare à vous si vous prévoyez mal ! Après une adaptation sportive avec Frozen Cortex, on attend désormais Frozen Synapse 2 pour l'année 2017, avec vraisemblablement de nouveaux modèles de bâtiments et de nouvelles armes. 


- Après le succès du jeu tactique Ultimate General : Gettysburg, porté par une interface intuitive et un modèle tactique innovant, Ultimate General : Civil War revient avec Game Labs en étendant son système de jeu à la Civil War américaine, entre 1861 et 1865. Les batailles s'enchaînent désormais selon une progression historique, et il vous faudra gérer vos brigades, vos officiers, leurs compétences, leur expérience, ce qui rajoute une grande profondeur au titre qui se targue déjà d'avoir une IA compétente, et qui rajoute du même coup un environnement cohérent. Le jeu de tactique en temps réel pausable est encore capable de se renouveler intelligemment.


- Si vous avez toujours rêvé de naviguer sur les mers, de vous attaquer à des navires ennemis en planifiant toutes vos actions, des canons à l'abordage, et de vous en prendre à des monstres, alors Abandon Ship est le jeu de Fireblade Software qu'il vous faudra surveiller en 2017.


- Vous pensiez que caser trois news sur Creative Assembly dans un même épisode, c'est impossible ? Vous vous trompez. Le free-to-play Total War Arena, où deux équipes de dix joueurs s'affrontent dans une arène multijoueur en contrôlant chacun une poignée d'unités et en devant éliminer l'adversaire et contrôler des points, trouve un partenariat en la personne de Wargaming Alliance, la société pour les développeurs tiers tenus par les Biélorusses de Wargaming, responsables des hits free-to-play planétaires de combats historiques de tanks, d'avions ou de navires autour de World of Tanks (2010), World of Warplanes (2013), World of Warships (2015). Gageons que ce partenariat permettra enfin de faire sortir le jeu de sa torpeur dans laquelle il est plongé depuis la fin de sa bêta fermée.

En formation pour le financement.

- Je vous en avais parlé en septembre, les Français d'Amplitude Studios se sont lancés dans le deuxième épisode de leur Endless Space. La vente en accès anticipé livrait le jeu et ses quelques nouveautés, mais avec seulement quatre factions principales à choisir (même si on pourrait compter les factions secondaires). Du même coup, les développeurs ont sorti un patch pour rajouter l'United Empire, trois factions secondaires, tout en corrigeant et rajoutant quelques spécificités. Si les développeurs continuent sur leur lancée, on devrait avoir d'ici quelques temps un véritable successeur au premier jeu de la série.

Une faction tout en rouge.

- Si la série des Dawn of War a popularisé depuis 2004 la licence Warhammer 40K à la sauce stratégie en temps réel, il manquait peut-être une adaptation un peu plus fidèle au jeu de plateau. Sanctus Reach est désormais prévu pour le 19 janvier 2017 par les développeurs de Straylight Entertainement, qui sortiront ainsi leur premier jeu, qui plus est sous licence Games Workshop.


Ainsi se finit le troisième épisode de l'AViC. Nous nous retrouverons pour le mois des fêtes et des sorties, c'est-à-dire décembre. Bonne vie à tous !

dimanche 13 novembre 2016

News - Le Top 9 (20 000 vues)

Après une news qui montrait mes différents projets, et notamment ma page Facebook et mon second blog, il était temps de revenir avec vous sur le nombre de vues, puisqu'avec 144 articles et 3 ans de blogging, je totalise maintenant près de 20 000 vues (et non ce n'est pas parce que j'ai beaucoup actualisé mes propres pages). Nous allons dès lors revenir ensemble sur les neuf articles les plus "populaires" du blog (bien que populaire soit un bien grand mot). Et pourquoi neuf ? Parce que neuf fois seize fait cent quarante-quatre ! Et pourquoi faire un top ? Parce que ça m'amuse pardi !

1 - Hunter X Hunter (1288 vues) : vous êtes malins. Lorsque vous, lecteurs lambda, venez sur ce blog, vous essayez de fouiller un peu et de ressortir le plus vieil article qui soit, pour me menacer et pour ressortir de vieux dossiers, ou bien pour quitter brutalement ce blog. Et vous l'avez trouvé le saint Graal, avec ma toute première critique. Autant vous rappelez que cet article a maintenant trois ans et qu'il est mis en forme avec les pieds (de l'époque).

2 - One Punch Man (1027 vues) : une petite surprise. Je me doutais bien que le manga était assez apprécié en France, mais pas au point que cette critique n°24 datant de janvier 2016 soit propulsée au deuxième rang des articles les plus lus. Votre passion de Saitama est sans limites, tout comme ce brave homme.

3 - Dominions IV (349 vues) : on redescend brutalement dans le nombre de vues, et on repart en janvier 2014 pour la cinquième critique. Pendant un temps, je vous en ai beaucoup parlé, avec des tas de récits de partie et une initiation complète. C'est d'ailleurs ce jeu qui m'a propulsé sur le site Mundus Bellicus, et je l'en remercie (si c'est possible).

4 - Le 4e épisode de mon initiation à Dominions IV (269 vues) : je vous en parlais juste avant, mais c'est bel et bien un an après la critique que cette initiation s'est écrite (et pas toute seule). Mais le comble, c'est que la présentation générale de l'interface vous vous en moquez, la magie vous vous en cognez, les caractéristiques des soldats vous passent au-dessus : non, ce qui vous a intéressé en avril 2015, c'est comment grouper vos soldats et les envoyer massacrer l'ennemi, en bons joueurs intéressés de jeu de stratégie que vous êtes.

5 - Gintama (206 vues) : décidément, j'ai du succès avec les mangas ! Alors que je parle essentiellement de jeux vidéos, voici le 3e animé à arriver dans le top 9, ce qui est une performance, vu que seulement 6 articles traitent de ces choses japonaises. Et vous avez choisi la folie avec cette dixième critique publiée en septembre 2014.

6 - Total War Warhammer (154 vues) : la hype était présente, et même en juillet 2016. Vous avez été intéressés par ce jeu médiéval-fantastique mêlant l'univers de Warhammer et la stratégie-tactique du studio Creative Assembly. Il semblerait pourtant que vous ayez été moins attirés par les extensions payantes...

7 - Dominions IV, le second test (111 vues) : vous en avez soupé de ce jeu hein ? Le test que j'ai fait pour Mundus Bellicus était un peu plus "pro", en ce lointain mois brumeux de novembre 2015.

8 - Mad Max Fury Road (103 vues) : petite performance pour un des trois films que j'ai traité sur ce blog, qui arrive à la 8e place (je devrais me reconvertir...). Vous avez été intéressés par ce remake d'un classique et par la claque visuelle et sonore qu'il a produit mi-2015.

9 - Le 3e épisode de mon premier AAR sur Dominions IV (101 vues) : que dire... Vous avez donc oublié TOUS mes autres récits de partie (quatre autres) pour vous concentrer sur le premier, qui est le moins abouti et le moins détaillé ? Et vous avez choisi le troisième épisode au milieu des 73 articles de récits de partie ? Celui où j'ai à peine l'air de gagner ? Vous êtes cruels...

Si l'on résume, on se rend compte que je ferais mieux d'arrêter de parler de jeux vidéos pour parler davantage de films, d'animés et de mangas. Et que je ferais mieux de ne pas trop faire de récits de partie. Mais rassurez-vous, je continuerai à bider sans me soucier du reste. Quoi qu'il en soit, merci aux quelques lecteurs qui me suivent et qui ont permis à ce top 9 de voir le jour. A toute !

mardi 8 novembre 2016

Critique n°38 : Le modèle de la "Grande Stratégie" chez les Suédois de Paradox

Si vous vous attaquez à Paradox Interactive, vous êtes sûr de vous retrouver face à un mastodonte du jeu de stratégie. C'est pourquoi cet article voit le jour si tard sur ce blog se targuant de vénérer profondément les jeux de stratégie. Fondé en 1999 à Stockholm, le syndrome Paradox (z'avez compris ?) a surtout pris son envol en 2012 : Crusader Kings II a ainsi marqué le passage à une version 2.0 de la grande stratégie de par ses mécaniques originales et sa grande popularité, et ce ne sont pas les innombrables contenus additionnels (11 extensions majeures et 63 extensions mineures aujourd'hui!), et les sorties heureuses d'Europa Universalis IV (2013), de Stellaris (mai 2016) et d'Hearts of Iron IV (juin 2016) qui prouveront le contraire. Outre ces séries, Paradox est aussi une société d'édition : les Stockholmois ont ainsi publié la saga de jeux de combat Mount & Blade (2008-2012), des wargames d'Ageod, et d'autres jeux d'action ou de gestion. Nous n'en parlerons pas.

Mount & Blade II arrive !

Mais plutôt qu'une présentation des jeux, qui viendra peut-être plus tard, je comptais dans cet article revenir sur la notion de "grand strategy" utilisée comme argument de vente, et qui illustre en effet une certaine spécificité de tous les jeux développés par le studio, si l'on excepte Stellaris qui se rapporte plus au 4X.

I. C'est quoi la Grande Stratégie ?

Au niveau du vocabulaire des études militaires, on distingue habituellement stratégie et tactique. Schématiquement, et sans revenir à l'étymologie en grec ancien (ce genre de choses est réservée à mon second blog, désolé), la tactique concerne les affaires militaires au moment où deux armées se rencontrent sur le champ de bataille, alors que la stratégie inclut une vision plus large et étendue, consistant à considérer les forces armées dans leur organisation, leur déploiement, leur ravitaillement, en bref leur mise en route avant la rencontre avec l'ennemi.

Ca c'est de la tactique.

Après le choc de la Seconde Guerre Mondiale, les Britanniques forgent un nouveau concept, celui de "grand strategy" ou de "major strategy". Ils élargissent en effet le champ d'application du mot stratégie pour inclure les forces armées dans un processus culturel, diplomatique, économique et politique. Cette terminologie rentre tout à fait dans la définition de la guerre vue par Carl Von Clausewitz (1780-1831), et permet de saisir l'ensemble des moyens mis en oeuvre par un Etat pour engager ses forces armées.

Et ça de la stratégie (ou de l'opératif, mais on verra ces nuances dans un autre monde).

II. Les interprétations suédoises 

Cette définition de la grande stratégie est adaptée dans quatre séries vidéoludiques, autour de jeux en temps réel pausable, où il s'agira pour le joueur de se retrouver à une époque historiquement datée, pour contrôler un comté, un duché, un royaume, un état, ou encore une horde. En conservant des provinces, le joueur développe son économie, son pouvoir et ses moyens militaires. Mais il doit aussi composer avec les troubles intérieurs et extérieurs, et utiliser la politique et la diplomatie (l'angle des relations internationales), et à défaut l'armée pour conserver son pouvoir ou l'étendre sur d'autres provinces.

Il y a de quoi faire dans une partie d'Europa Universalis IV...

Longtemps, les développeurs ont hésité entre deux approches. Puisque leurs jeux ont une base historique, il fallait soit conserver une trame historique à respecter scrupuleusement, quitte à contraindre le joueur à refaire l'histoire par le biais d'événements précis, soit donner au joueur une situation historique de départ conforme à la réalité, et de laisser ensuite toute latitude au joueur et aux intelligences artificielles de jouer de manière ahistorique. Cette dernière approche, qui est la plus intéressante pour un jeu vidéo se targuant de faire de la grande stratégie, est celle choisie par les développeurs depuis un peu moins d'une décennie.
 

L'échelle de Civilization VI est différente, mais tout aussi hypnotique pour un joueur

Avant que vous ne lisiez les descriptifs des sagas, sachez que les possibilités de jeu sont légion et propices aux récits, et surtout à l'implication totale du joueur. Si la saga Civilization nous hypnotise avec l'idée de développer à partir de rien une civilisation à travers les âges, les jeux de Paradox nous hypnotisent en nous proposant de recréer l'histoire, avec des mécaniques se voulant suffisamment réalistes pour schématiser ce concept de grande stratégie si cher au studio, le tout dans un monde cohérent, car au départ historique.

III. Les séries de jeux

a) De comte à empereur, le choc des dynasties 

Les jeux de Paradox se décomposent en plusieurs trames historiques. La série Crusader Kings débute en 2004, en s'intéressant au monde médiéval. C'est surtout le second opus, datant de 2012, qui consacre le jeu de stratégie made by Paradox. C'est à cette époque que les développeurs multiplient les extensions en écoutant les retours de la communauté. Le jeu de 2016 n'a ainsi, si vous avez toutes les extensions, plus rien à voir avec celui de 2012. Si les contenus mineurs, tels la musique, les skins d'unités ou encore les portraits sont dispensables, les contenus majeurs donnent des mécaniques de plus en plus détaillées et profondes, et on pourrait consacrer un article entier pour détailler les changements entre 2012 et 2016. 

De la politique interne...

Pour revenir dans le sujet, vous vous retrouvez aux commandes d'un possesseur d'un ou plusieurs titres, au minimum d'un comté. Mais si la question territoriale reste importante, la force du soft est de nous placer au sein d'une dynastie. Votre personnage, qui a des caractéristiques très précises, a aussi une famille : des frères avides d'usurper vos titres, des femmes à chercher dans la haute noblesse pour vous ménager des alliances avec d'autres possesseurs de titres, des fils et des filles à marier à des Grands pour que votre dynastie prospère, et un héritier à trouver dans votre dynastie si vous ne voulez pas perdre la partie. Quand vous mourrez, vous prenez la place de l'héritier de votre titre principal, et vous continuez ainsi, au fil des générations, entre guerres, assassinats et mariages pour maintenir au pouvoir votre dynastie.

...Une gestion dynastique...

Dans les faits, vous développez vos châteaux et vos troupes personnelles qu'il vous faudra lever au moment des guerres, combat médiéval oblige. Vous maintenez aussi votre emprise sur les barons, les maires et les évêques qui vous fournissent un impôt plus ou moins fort s'ils vous apprécient et selon les lois de votre domaine. Avec votre cour et vos conseillers, s'ils ne vous trahissent pas, vous pouvez établir une politique matrimoniale, forger des revendications, et tenter d'usurper d'autres titres : les comtés sont inclus dans des duchés, eux-mêmes inclus dans des royaumes, puis des empires, bien que les noms puissent changer selon que vous dirigez une famille de musulmans, d'hindous ou de nomades. Le chemin peut être long et laborieux vers la création d'un Empire, d'autant plus qu'il faut ensuite maintenir ce qui a été acquis au fil des siècles par les générations successives. La grande stratégie est ainsi mâtinée d'éléments de jeu de rôles où votre personnage courtise, dispute, capture ou tue d'autres personnages. Ce cocktail a participé au grand succès du soft, sanctionné par un tas d'extensions plus ou moins profondes.

...Et évidemment, la guerre.

b) La Renaissance à coup de relations internationales

L'histoire de la saga Europa Universalis remonte en 1993, lorsqu'un jeu de plateau tente de nous faire vivre l'histoire d'un état européen entre le XVe siècle et le XVIIIe siècle. Le concept était suffisamment intéressant pour que nos Suédois adaptent la recette en un jeu publié en 2000. Bien accueilli par le public, la recette séduit. Après un deuxième opus en 2001, un troisième en 2007 suivi de quelques extensions jusqu'en 2010, Europa Universalis revient en force en 2013. Après le Crusader Kings du changement en 2012 ("c'est maintenant", vous connaissez la chanson), la saga suit le même modèle que son aîné : aujourd'hui, après 9 extensions majeures et une cinquantaine mineures, le jeu a bien changé.

La diplomatie peut prendre le dessus.

En tous les cas, la grande stratégie prend ici tout son sens. Oubliez les dynasties, ici vous gérez un Etat, avec son dirigeant, son peuple, ses ressources, ses biens, ses provinces légitimes ou non, son armée permanente (on est à la sortie de la Guerre de Cent Ans, c'est historique), sa flotte de guerre ou de commerce, sa religion, ses colonies et j'en passe. Les relations diplomatiques sont ici fortement à l'honneur : désignez vos rivaux, formez des coalitions, développez votre réputation sur la scène internationale en évitant d'être trop interventionniste, etc. La gestion étatique est bien plus poussée que dans la précédente saga pour toutes les raisons énoncées. Votre culture, militaire ou non, s'exprime par une évolution technologique différenciée et par des luttes culturelles s'exprimant particulièrement par la religion (le protestantisme par exemple). Le jeu entre états est moins statique que dans Crusader Kings II, car les relations personnelles jouent beaucoup moins. La grande stratégie se retrouve ainsi à son paroxysme.

c) La révolution industrielle de l'époque victorienne 

Le premier Victoria : An Empire Under the Sun sort en 2003, et propose une période de jeu s'étalant de la Première Révolution Industrielle à la Première Guerre Mondiale. Le jeu passe un cran au-dessus au niveau de la difficulté en modélisant un système économique très approfondi, et une gestion de la population très poussée, vous forçant à vous pencher sur les différentes strates sociales. Après une extension en 2006, le deuxième opus intitulé sobrement Victoria II sort en 2010, suivi par deux extensions en 2011 et en 2013. On se retrouve avant la phase 2.0 des jeux Paradox.

Vous ne comprenez pas tout ? C'est normal. Persévérez...

La gestion interne de votre état augmente significativement. Entre ouverture aux capitaux étrangers, une gestion détaillée des ressources, un besoin d'établir des usines de production, des possibilités d'imposition et de gestion d'une multitude de classes sociales, Victoria apporte un vrai plus aux possibilités diplomatiques et militaires déjà présentes dans la saga des Europa Universalis. Toutefois, Victoria II est encore assez touffu, et ne profite pas du même engouement des joueurs que pour les séries un peu plus récentes, et un peu plus "simples", même si c'est un bien grand mot. La grande stratégie est ici toujours présente, avec un volet économique bien plus touffu.

...Si vous avez le courage d'apprendre.

d) La guerre totale

En 2002, le spectre temporel se réduit davantage avec Hearts of Iron, premier du nom. Après deux autres épisodes en 2005 et 2009, la saga guerrière se raccroche à la destinée ouverte en 2012 en publiant son quatrième opus tout récemment, en juin 2016. A l'heure où j'écris ces lignes, la première extension majeure est annoncée. Hasard ? Nope. Concrètement, le concept de grande stratégie apparaît ici totalement, autour d'une guerre inarrêtable. Vous gérez toujours un état, mais cette fois-ci, le temps n'est plus dilatée sur plusieurs siècles, mais sur quelques années à peine. Malgré son austérité, qui était même plus remarquable que Victoria II au moment du troisième opus, Hearts of Iron a profité du virage 2.0 du studio pour se rendre plus accessible, malgré une profondeur encore bien présente.

Avec un plan de bataille, toutes ces petites divisions avanceront jusqu'à la ligne de front.

Vous découvrez ainsi la guerre totale avec cette saga : vos choix politiques et d'alignement internationaux se conjuguent avec une conversion industrielle de vos usines civiles de plus en plus accrues, une extension des usines d'armement produisant différents types d'équipements militaires, des munitions d'armes automatiques aux porte-avions en passant par les bombardiers. A vous aussi de mobiliser de plus en plus votre population pour maintenir des effectifs importants dans vos divisions militaires, vos scientifiques pour être à jour dans les technologies économiques et d'armement. Toute cette préparation en amont rejoint largement la grande stratégie, mais la stratégie au sens étroit apparaît plus distinctement que dans les précédents opus : les provinces de jeu sont bien plus détaillées, et vous devez gérer une à une vos divisions d'infanterie, de parachutistes, de troupes de marines, de blindés, ainsi que vos aéronefs et votre marine de guerre, le tout à partir d'options globalement plus accessibles au joueur lambda que dans le troisième épisode, avec des plans de bataille à mettre en place. 

Conclusion

Quatre sagas allant de l'époque médiévale à la Seconde Guerre Mondiale, et forgeant quatre séries de jeux de "grande stratégie" à des degrés divers : voilà l'apport de Paradox Interactive au monde vidéoludique, et voilà pourquoi il fallait bien un article entier pour vous le montrer. Entre les jeux dynastiques médiévaux, les relations internationales de l'époque moderne, les évolutions économiques du XIXe siècle et la guerre totale des Alliés et de l'Axe, Paradox brosse un large monde stratégique, susceptible d'intéresser, à qui veut bien apprendre des mécaniques stratégiques, toute personne aimant un tant soit peu l'histoire. La fascination que peuvent avoir ces jeux pour une portion de plus en plus importante de gens depuis 2012 montre que le jeu "historique" a tout à fait sa place dans le monde vidéoludique. D'autant plus que cela permet d'avoir un aperçu historique très intéressant, le tout sous un prisme vidéoludique.

East vs West, une version prototype pour la Guerre Froide qui devait être éditée par Paradox, mais qui a été annulée (sombre histoire)

Dans l'avenir, en tant que joueur, il est vrai que j'aimerais un troisième opus de Victoria, passant le virage 2.0 à son tour, mais SURTOUT un jeu Paradox se déroulant en pleine Guerre Froide. Des mods sont déjà en train d'adapter Hearts of Iron IV sous ce prisme historique. Si les développeurs se lançaient dans cette entreprise, qui n'a rien de facile, ils se retrouveront facilement dans un monde vidéoludique peu intéressé, si l'on excepte la série des Geopolitical Simulator, pleins de soucis techniques. Le concept de grande stratégie pourrait ainsi s'élargir pour une série de jeux 3.0 ?