En ces derniers jours de vacances de février, qui ne prêtent ni à rire ni à sourire malgré quelques rayons de soleil passagers, il est temps de parler des jeux Telltale.
I. Tel / telle ?
Nope, telltale, mot basé sur la combinaison
fantastiquement innovante entre tell (raconter, ce qui a permis un jeu de mot très comique pathétique dans le titre) et tale (conte, histoire). C’est
un studio de développement et d’édition de jeux vidéos qui se concentrent sur
des jeux spéciaux, qui se basent particulièrement sur des choix de dialogue et
quelques actions contextuelles permettant de faire avancer l’histoire dans
plusieurs directions différentes suivant les choix du joueur. Chaque jeu
telltale a la même déclaration initiale que je vous traduis avec mes superbes
talents (inexistants) de linguiste : l’histoire est influencé par les
choix que vous allez prendre.
Ce qu’il est important de savoir, c’est que Telltale
aime bien reprendre des licences relativement connues par la communauté de
joueurs ou autres : ils ont repris Sam & Max (bon, d’accord, pas par
TOUS les joueurs), Retour vers le Futur ( !), les comics Fables et The
Walking Dead.
Jouer à un jeu Telltale, c’est subir une histoire qui
se déroule à travers les yeux (en vue à la troisième personne, paradoxe ?)
d’un personnage particulier qui a plusieurs moyens d’actions sur le monde :
déjà, il dispose de plusieurs actions contextuelles lorsqu’il peut se déplacer
relativement librement à des moments précis de l’aventure, comme regarder des
objets, les prendre, parler à des gens. Ca rappelle le point’n’click. Mais la
principale originalité est le système de dialogue : ils sont excessivement
nombreux (l’homme est un animal social, merci Aristote) et régis selon le
principe de « je dois me grouiller de choisir une réponse et ces réponses
auront des répercussions positives ou négatives dans le reste du jeu ».
Vous voilà prévenus. Ces dialogues se présentent sous la forme de cinématiques
interactives, et les choix peuvent même concerner plusieurs types d’action
(sauver ce gars ou non, remettre machin à sa place ou non).
En fait, un jeu Telltale est une cinématique
permanente qui redevient quelque peu jeu dans ses phases point’n’click. Mais
ces cinématiques sont interactives et forment le cœur même de l’ambiance
vidéo-ludique qui en découle. Les scénarios sont étoffés, les personnages
travaillés et les choix peuvent être déterminants. Tout du moins dans The
Walking Dead et The Wolf Among Us que nous allons voir maintenant (admirez la
transition remarquable).
II. J’ai vu le loup
Ce dernier est adapté d’un comic américain de Bill
Willingham (créateur et scénariste) s’appelant Fables. Son comic (= BD
américaine) porte les personnages des contes que nous connaissons généralement
sans savoir d’où ils viennent dans le monde contemporain, c’est-à-dire les
personnages de Perrault, des frères Grimm, d’Andersen bla bla bla. Sexe,
pouvoir, richesse, prostitution, la base de nos sociétés contemporaines en
somme appliquée à des personnages fabuleux (Dominique, un personnage non
fabuleux, réunit toutes ses composantes aujourd’hui, si c’est pas beau ça).
Dans le jeu et dans le comic apparaît un personnage
particulier : le sheriff de Fabletown, Bigby Wolf, alias le Grand Méchant
Loup qui prend forme humaine pour l’occasion et essaye de se racheter en
participant à la communauté de vie qui doit vivre dans le monde des humains en
cachant des formes fabuleuses. Dans le jeu de Telltale, c’est l’histoire
sordide de meurtres par décapitation qui va précipiter ce Bigby que nous
incarnons dans la tourmente.
La tourmente des coups de poing |
Comme vous connaissez désormais les composantes d’un
jeu Telltale, on va voir les spécificités. D’abord l’ambiance est excellente :
c’est une logique d’une autre nature qui apparaît ici, entre sorts magiques et
créatures imaginaires, mélangé à un polar. De plus, les lieux que peut visiter le sheriff sont
sordides, glauques, le tout porté par un graphisme assez somptueux qui fait
penser à un comic qui prend vie. Les personnages que vous connaissez en conte
apparaissent dans toute leur splendeur ou déchéance (la réécriture du Petit
Chaperon Rouge par le Bûcheron est marrante). La musique est discrète et dilue
l’ambiance prenante. On se plaît à incarner Bigby qui doit se faire accepter
par les Fables (prononcez-le de façon anglaise) et qui oscille entre monstre et
pas monstre.
Mais voilà, il y a un problème de taille ici :
les choix semblent n’avoir aucune importance et le joueur le ressent (en tout
cas moi). Les choix peuvent être tendus, moraux, mais il me semble qu’on a
juste le choix entre être gentil et être méchant, et à deux ou trois morts
près, ça n’a que peu d’influence sur le déroulement du scénario. Et un autre
problème que j’ai remarqué est que les phases point’n’click sont assez
lourdes et peu intéressantes. On s’ennuie facilement et on prie pour retrouver
rapidement un dialogue.
Des choix difficiles... |
En bref, The Wolf Among Us est plus une réussite au
niveau de l’histoire, du scénario et du fond qu’au niveau du jeu en lui-même, de
la forme si vous préférez, avec bien souvent des choix qui nous tiraillent
rarement et qui peuvent se résumer à : to be an asshole, or not to be (les
grossièretés passent mieux en anglais). C’est dommage, peut-être la saison 2
saura utiliser plus sûrement les différents choix.
III. Des humains pour quatre-heures
Le comic The Walking Dead de Ribert Kirkman et Tony
Moore est ce me semble mieux connu que Fables, mais on va quand même résumer le
concept : une maladie fait que les morts se relèvent et cherchent à manger
les non-morts (Les morts qui marchent si vous voulez une traduction stupide
littérale), et ceux qui ne sont pas encore morts et sont maintenant peu
nombreux essayent de survivre. La survie et les zombies (appelés walkers au cas
où on parlerait de plagiat), on a vu plus original. Le principe du comic et du
jeu vidéo qui en découle est de mettre l’accent non pas sur la survie contre
les zombies, mais sur la survie en général, avec des principes comme la
cohésion de groupe, la relations avec les autres groupes, bref on reprend la
théorie historique du « groupe primaire » et on l’applique à une
situation de catastrophe. Les groupes de survivants peuvent se battre entre eux
pour des questions de territoire et bien souvent de ressources, et les walkers
sont en arrière-plan, toujours prêts à intervenir quand ils sentent le sang et
les balles.
La relation avec "Clem" est déterminante pour Lee |
Donc le jeu vidéo reprend ce principe, et la première
saison nous met dans les chaussures de Lee, un rescapé d’un accident de la
route qui se réveille quelques jours après la catastrophe et rencontre sur son
chemin une petite fille du nom de Clementine qu’il va essayer de protéger. Dans
ce monde maintenant étrange, il va rencontrer différents groupes et tâcher de
survivre. Là, vous voyez l’ambiance. Très prenante. La violence est partout,
les disputes sont fréquentes (parfois pour des broutilles) et on essaye juste
de s’en sortir.
On rigole peu |
Au niveau des choix, le jeu présente de VRAIS cas de
conscience où aucun choix n’est le bon et où il faut parfois voler les autres pour
nourrir les siens. On a toujours l’impression en jouant d’être sur une corde
tendue au-dessus d’un précipice, et le joueur a l’impression de participer
pleinement à cette aventure et de faire de vrais choix. On finit même par
accepter la paranoïa et de voir dans les inconnus une menace inhérente. Le
graphisme est aussi en cell-shading et rappelle encore le comic.
Conclusion
Deux bons jeux Telltale, deux réussites entre 2012 et
2014, mais aussi des différences certaines notamment sur la portée des choix
(ou l’impression de portée des choix). Comme Heavenly Rain ou d’autres jeux de
Quantic Dream, c’est entre un jeu vidéo et un film, mais par l’interaction cela
reste un jeu vidéo (c’est la définition même du jeu). Qui lorgne sur le cinéma
et les séries télévisées. L’avenir du jeu vidéo réside t-il dans ces jeux-films ?
Non. Le gameplay d’un jeu vidéo doit permettre de faire des erreurs pour nous
faire apprécier la réussite. Il nous donne les moyens d’arriver à nos fins, et
plus ces moyens sont divers et complexes, plus le jeu est dur (excepté dans un
rogue-like où les moyens peuvent être simples, et la réalisation presque
impossible). Cependant ici, on reste tendu comme devant un bon film et une
bonne série, et on est content de faire quelques choix, mais aucune erreur n’est
vraiment possible (et donc aucune satisfaction exceptée celle de finir l’histoire
en fonction de quelques choix).
Ce sont tout de même des jeux vidéos, plaisants qui
plus est, même si The Walking Dead reste selon moi supérieur à The Wolf Among
Us. Je vous les recommande, ne serait-ce que pour vous donner une autre idée du
jeu vidéo.
Bonne rentrée aux malheureux qui recommencent lundi !
(je me vise moi-même)