vendredi 3 janvier 2014

Critique n°6 : le cas Dwarf Fortress

On peut classer les individus en deux catégories : ceux qui vouent un véritable culte à Dwarf Fortress, et les autres. Et aujourd’hui, je vais tenter de vous faire basculer du bon côté de la force, c’est-à-dire du mien. Car oui, Dwarf Fortress est un monument.
 

Tenez, qu'est ce que je vous disais

I. Qui que quoi dont où auquel duquel lequel ?

Mais je vous vois perplexe. Laissez-moi vous expliquer. Il était une fois, Toady One, notre Dieu à tous, commença après des études de mathématiques assez poussées (
http://math.stanford.edu/theses/tarn_thesis.pdf, lisez ça, et pleurez) à se lancer dans l’informatique. Il sortit quelques jeux sympatoches (Liberty Crime Squad, ou World War I Medic), mais surtout, il commença à développer Dwarf Fortress à partir de 2002. La première version jouable fut mise sur Internet en 2006, et depuis lors, le développement du jeu se poursuit. DF est une sorte d’alpha perpétuelle, vu que Tarn Adams et son frère continuent de rajouter tout pleins de trucs. Mais le Bien, le vrai, c’est celui de le proposer gratuitement. Et, malgré l’alpha, le jeu est bel et bien jouable. Et ça, c’est cool, non ?

DF est surtout connu pour son mode de jeu appelé « Fortress », qui a d’ailleurs donné le nom du jeu, et qui va ici nous intéresser particulièrement. Il existe aussi un mode aventure, à la mode des rogue-like (= jeux dérivés de Rogue (1980), consistant la plupart du temps à faire descendre (ou monter) un personnage dans un donjon pour tuer le grand boss ou pour ramasser des pierres magiques. Dérivé des jeux de rôles, ces « rogue-like » permettent généralement de choisir une race et une classe, et marche selon un principe de compétences et de niveaux à monter. La principale particularité de ce genre de jeu est son extrême difficulté et le fait que la mort est définitive. Allez voir Dungeon Crawl, Dungeons of Dreadmor, et le reste !), mais reste à mon sens moins intéressant.

II. Légende

Avant de pouvoir faire quoi que ce soit, le jeu nous demande de créer un monde. A parti de quelques paramètres généraux, les éléments naturels se forment, ainsi que l’histoire globale du monde. Zach Adams, le frère de Tarn, s’est d’ailleurs chargé de cette partie : l’histoire entière du monde est générée de façon entièrement procédurale, et est parfois épique. Elle raconte l’histoire de peuples (nains, elfes, humains, gobelins), de démons nommés, de personnages épiques, et de morts glorieuses. Il est d’ailleurs assez drôle de retrouver dans nos parties des démons qui ont occis plus d’une cinquantaine de peuples (même si le rire peut devenir assez vite jaune).

III. Le city-builder ultime

Après avoir choisi un lieu propice à l’établissement d’une colonie sur la mappemonde réalisée (généralement, près d’un point d’eau, possédant des minerais et des sols fertiles, et avec un accès direct à une forêt). Faites aussi attention à la classification du terrain : s’il est hanté par exemple, préparez-vous rapidement à vous enterrer dans votre forteresse-bunker. Aussi, la proximité d’une tour de nécromancien ou de multiples nations gobelines peut offrir quelques surprises.

Après avoir choisi l’appartenance à une des différentes nations naines (taper « TAB »), il est temps de préparer une expédition. 7 nains, avec chacun une personnalité propre, des goûts et des inclinations sociales personnels.


Ca, c'est UN nain...


Après avoir choisi la nature du convoi et les compétences de chacun, temps de s’établir sur la nouvelle terre ! DF est riche en compétences et métiers. Le bûcheron coupera du bois, le bois sera ramassé par les collecteurs, les artisans du bois fabriqueront un lit, lit qu’il faudra placer dans une chambre, qui devra être préalablement creusée et aménagée. Comme vous pouvez le voir, de gigantesques chaînes de production vont avoir lieu. Notons que vous mettez en place des actions, et que vous devez attendre que les nains les exécutent. Une sorte de jeu de stratégie indirect en somme.

Le but de DF est évidemment de développer une forteresse, et cela passe généralement par le minage, sachant que le sol peut être creusé sur plus de 100 niveaux. Aménager des fermes souterraines, un puits pour puiser de l’eau dans des cavernes, condamner l’ouverture de la forteresse par un pont-levis permettant de se protéger des invasions, organiser une force armée et l’entraîner, les équiper grâce à des équipes de forgerons, aménager des dortoirs et des cantines, élever les enfants que les nains auront entre eux, accueillir les migrants annuels ou biannuels qui ont été attirés par la prospérité de votre forteresse (à vous de les protéger s’ils arrivent en plein milieu d’un raid gobelin), aménager des défenses efficaces à base de douves et de fortifications, voir les nains élire un maire, organiser un système de justice et d’exécution capitale pour maintenir l’ordre… On peut tout faire dans Dwarf Fortress. La représentation 3D du monde permet même d’aménager de gigantesques tours, mais attentions aux ennemis volants. Mais l’important est de survivre, c’est-à-dire déjà d’alimenter en alcool (et oui, l’eau sert un besoin purement médical) et en nourriture vos nains. Ce qui n’est pas forcément très simple.

Et justement, toutes ces possibilités s’accompagnent d’une difficulté assez ahurissante. Sachant que chaque nain a ses propres pensées et relations sociales, que pensez-vous qu’il risque d’arriver à un nain mentalement instable qui vient de perdre sa femme et ses deux fils ? Les fameux risques de « tantrum ». Inévitable, et un nain qui devient fou pour une raison x ou y (exemple : rester enfermer dans une forteresse alors que des gobelins campent dehors) commencera à attaquer d’autres nains, et on peut vite arriver à une « spiral tantrum », c’est-à-dire un massacre général, et votre magnifique forteresse de 200 nains va se transformer en gigantesque charnier. Rajoutez à cela le bruit, et l’odeur, et les survivants auront alors fort à faire pour aménager des cimetières pour leurs défunts avant que leurs fantômes ne commencent à mettre le souc. Mais ces dissensions internes ne doivent pas faire oublier que le danger peut aussi venir de l’extérieur. Des démons oubliés, des dieux corrompus peuvent tout à fait organiser quelques visites de courtoisie. Quand ceux-ci sont composés d’air et peuvent ranimer les morts, c’est toujours marrant. N’oublions pas aussi les gobelins, vos farouches ennemis, qui lanceront des raids réguliers, et vous allez comprendre que la défense est une composante fondamentale, mais aussi que les parties peuvent rapidement finir. Tiens, vous pensez être en sécurité derrière une porte en fer ? Dommage, les gobelins ont ramené un troll.

Et on arrive au système de combat, un des plus complets existants. Chaque individu est représenté en jeu avec tous ces membres, du petit doigt de pied à la tête, en passant par les organes internes. Les combats peuvent dès lors devenir très violents, et vous finirez par ramasser vos nains à la petite cuillère (d’ailleurs, fuyez les crocodiles, conseil d’ami… Car oui, les animaux de la cambrousse peuvent être très dangereux, et commencer une forteresse avec trois nains manchots, c’est pas forcément la joie). Il faudra penser à aménager un système médical, lui aussi très bien fait, avec le médecin généraliste qui ausculte la pauvre victime et le chirurgien qui s’occupe de remettre en place ce qui dépasse… On peut même donner des béquilles au pauvre nain ayant perdu une jambe (imaginez le héros légendaire qui bat des cyclopes en se déplaçant avec des béquilles… EPIQUE). Les combats sont aussi très aléatoires. Votre meilleur guerrier, blindé d’armures, vainqueurs de colosses pourra tout simplement mourir d’une gangrène lorsqu’un gobelin famélique lui aura décoché une flèche dans le pied, tandis qu’un enfant nain pourra avoir un énorme coup de chance et réussir à énucléer un crocodile un peu trop aventureux. On le voit, des possibilités épiques s’offrent à nous, d’autant qu’on possède des rapports détaillés de combat. Par contre, âme sensible s’abstenir.

IV. Un jeu austère et difficile
Comme vous l’aurez compris, vos nains sont très fragiles, et la mort fait partie du jeu. Et avec toutes les catastrophes qui vous tombent sur le coin de la tronche, il arrive souvent que vos nains soient tous exterminés. A ce moment-là, game over. C’est le côté rogue-like du mode forteresse. Notons que les prochaines expéditions que vous pourrez faire seront dans le même monde, et que vous pourrez très bien revenir sur le lieu de votre ancienne forteresse pour retenter votre chance. De même, le mode aventure vous permettra de visiter vos anciennes forteresses ! Les adeptes de DF ont d’ailleurs créé le concept de « fun » à partir de la devise du jeu « Losing is fun ». A ce moment-là, tout est synonyme de fun. Un vampire s’est infiltré dans votre forteresse ? Fun. Votre armée durement entraînée s’est faite entièrement exterminée en un instant par un dragon cracheur d’acide ? Fun. Vous avez oublié de relever le pont-levis ? Fun. Des migrants arrivent au moment ou trois démons vous attaquent ? Fun. Un nain en tantrum ouvre les portes de la forteresse ? Fun. DF est un jeu qu’on peut d’ailleurs romancer sans difficulté.

Mais, il y a un hic, voire plusieurs. Le jeu est certes immensément riche, mais possède de gros défauts qui suffisent parfois à décourager les plus courageux. Déjà, les graphismes. C’est de l’ASCII, autant dire que c’est pas très joli, voire repoussant pour la plupart des gens.


Une forteresse bien développée. Tout à gauche, on reconnait un pont sur la rivière bleue. On voit aussi quelques animaux (lettres de l'alphabet) et nains (les faces spéciales). On voit aussi le mur de la forteresse, derrière lequel on retrouve deux balistes pour accueillir les intrus. On voit aussi des chambres au milieu de l'écran... Comment ça vous ne voyez que des caractères bizarres ?


Le mec de Rock Paper and Shotgun qui galère pour expliquer à son lectorat ce qu'il se passe

Notons que le jeu qui a quand même une grosse communauté de fans (majoritairement anglais) ont déjà créé des mods graphiques qui améliorent un peu la qualité graphique, sans être transcendant. Moi je dis, choisissez entre des supers graphismes, et un super gameplay. Mais ce n’est que mon avis. Et, vu ce qui arrive dans les combats, je n’ose pas imaginer ce que ça donnerait avec des graphismes ultra-réalistes : lorsque un rocher tombe sur un nain et qu’on voit un bout de corps qui vole dans la nature, on remercie les graphismes peu détaillés. Et puis quand des enfants meurent…
 

Des manières de rendre le jeu plus agréable


Ensuite, l’interface. Elle est assez immonde : pas de clic à la souris, tout plein de raccourcis à la con et de menus déroulants, là c’est clair que c’est tout, sauf « user-friendly ». Préparez-vous des listes de raccourcis (conseil d’ami).

Enfin, le jeu en lui-même. La tonne de possibilités fait qu’on est inévitablement perdu. Comment s’y prendre alors ? Pas le choix, appel à la communauté. Et justement, la communauté très présente du jeu sur le site
http://www.bay12games.com/ est là pour vous soutenir. Certes, le jeu et la communauté sont anglais, mais raison de plus : temps d’apprendre la langue de Shakespeare ! D’autant que le jeu en lui-même ne nécessite pas forcément d’être bilingue (savoir que soap = savon, ou beekeeping = gardien d’abeilles).

V. Une communauté de fifous !

Commençons par les anglais. Le forum précité est très intéressant, mais on retrouve aussi un wiki très détaillé à
http://dwarffortresswiki.org/, de multiples guides écrits ou en vidéos. Si c’est en anglais, vous allez trouver votre bonheur.

Et figurez-vous qu’on a aussi une communauté de français plutôt active. Déjà, les malades mentaux du forum de Canard PC (c’est sur ce forum que j’ai découvert DF), ou encore, le blog de
http://justeunnain.blogspot.fr. On retrouve aussi quelques guides vidéos comme celui appelé GobboTuto. Et on retrouve aussi quelques initiés sur le forum de librejeu, et même sur celui de jeuxvideo.com.

Donc, la difficulté est dépassé : n’hésitez pas à poser des questions à tous ces gens-là ! En plus d’être assez amicaux, ils se feront un plaisir de vous aider.

VI. Conclusion

Un jeu dur, un jeu épique, un jeu prenant, mais des graphismes tout pourris et une interface moisie, il va vous falloir choisir entre un haussement d’épaule, ou un téléchargement rapide. Je vous conseille de l’essayer, quoi que vous puissiez penser. Regarder quelques guides, lancez-vous dedans, faites des erreurs, perdez votre forteresse de manière épique, et vous verrez alors tout le potentiel de ce jeu. Il n’est toujours pas fini, les créateurs ont toujours pleins d’idées à rajouter (la 3D par exemple est récente), et la communauté est sympathique. Si sympathique d’ailleurs que les créateurs du jeu qui s’en occupent à temps pleins bénéficient de dons, qui peuvent aller entre 1000 et 5000 euros par mois. C’est dire le niveau de fan des joueurs de DF !

Donc : TRY IT !

PS : télécharger le Lazy Newb Pack (il existe un tuto français rapide sur ce pack) qui contient déjà des mods graphiques et quelques améliorations (dont le fameux Dwarf Therapist qui permet de gérer les métiers de tous vos nains en quelques clics plutôt que de passer par des menus dégueus et mals foutus)
PS2 : allez lire ces histoires qui sont FABULEUSES :
http://lparchive.org/Dwarf-Fortress-Boatmurdered/
http://bronzemurder.timdenee.com/
Et pleins d’autres…

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