mardi 24 mai 2016

Critique n°31 - Polaris Sector, le 4X avec des koalas dedans

Après une news sur Cossacks III, un jeu de stratégie temps réel très prometteur, réalisée ici sur le site de la Gazette du Wargamer, je repars vers la galaxie Mundus Bellicus avec un test de Polaris Sector, disponible là, et retranscrit en-dessous pour vos yeux ébahis.

Introduction

Vous n’êtes pas sans savoir que le genre du 4X spatial a le vent en poupe. Entre les reboot des anciens jeux à succès, tels Master of Orion (février 2016) et Galactic Civilisation III (mai 2015), et les nouveaux venus essayant de se tailler un nom, tels le récent Stellaris de Paradox Interactive (mai 2016) et le Endless Space (juillet 2012) du développeur français Amplitude Studio, prévoyant déjà une suite, le joueur lambda a de quoi assouvir ses désirs de conquête spatiale. Reste à voir où placer ce nouveau Polaris Sector. Il fait partie d’une troisième catégorie de jeux de 4X spatiaux, ceux qui se font connaître plus par le bouche-à-oreille et qui se font plus discrets sur Internet. Inutile de préciser qu’il va me falloir préciser son originalité, dans un marché en plein expansion. 

L'argument de vente du soft : les koalas
Nouveau venu dans la galaxie des studios de jeux vidéos, SoftWarWare, contenant une seule personne, bénéficie d’un éditeur spécialisé dans les jeux de stratégie, à savoir Slitherine, qui a depuis peu un partenariat avec MatrixGames. Outre leurs innombrables jeux de stratégie très complexes, Distant Worlds (2010 jusqu’à son extension Universe en 2014) tenait le haut du pavé dans le domaine du 4X de par sa complexité et ses graphismes austères. Polaris Sector, renommé ainsi après s’être appelé pendant un temps Galaxia : Remember Tomorrow, est sorti le 22 mars 2016. Est-il un nouveau pavé de l’histoire du 4X ?

Rappelons aux néophytes que l’expression « 4X » est forgée par un journaliste en 1993 pour désigner le premier Master of Orion. Cet acronyme signifie « eXplore, eXpand, eXploit and eXterminate » : on en déduit qu’il va s’agir d’explorer une galaxie, de s’y étendre, d’y exploiter les ressources et les possibilités, et finalement de gagner en vainquant toutes les autres races, dans une compétition de grande envergure. N’oublions pas que cette expression fourre-tout n’est pas toujours la plus appropriée, mais qu’elle permet de fixer les bases de ce que ce genre de jeu peut désigner.

I. Diriger un empire, c’est facile

Après un tutoriel qui pose les bases, nous nous retrouvons à choisir entre neuf races à la description atypique, si ce n’est burlesque. Ces races n’ont pas d’autres caractéristiques particulières que celles que vous paramétrez en dessous de leur portrait : bonheur national, coût d’entretien des vaisseaux, technologie gratuite, vous pouvez rajouter ou enlever des points dans chacune de ces caractéristiques, jusqu’à ce que tout soit dépensé. Les bonus et malus peuvent être assez importants suivant vos choix, mais tout mettre au même plan n’est pas vraiment une bonne chose. Les races ont aussi des formes de vaisseaux différentes, variant le nombre d’emplacements pour du matériel.

Des descriptions parfois savoureuses, et des bonus / malus à paramétrer
Une fois arrivé dans le jeu, les étoiles vous tendent leurs bras. Chaque système dispose d’une ou de plusieurs planètes. Vous pouvez construire sur celles colonisées des tas de fabriques et de centres de recherche pour augmenter votre stock impérial de ressources, sans gérer pour autant les lignes de transport de ressources qui sont automatiques. Contrairement aux 4X ordinaires, vous ne placez pas votre population sur des cases spécifiques pour faire varier production, ressources, nourriture et science. Au contraire, vous construisez des fermes, des mines, et une fois la limite de bâtiment atteinte, vous n’avez plus qu’à regarder le tout se mettre en place.

En bas, les constructions de la planète. A gauche, le nombre de bâtiments de chaque catégorie sur le nombre maximum possible, la barre rouge désignant les constructions bloquées par manque de place. A droite le résumé. En haut à droite, la politique du gouverneur.
Cette automatisation va même plus loin : si une planète que vous avez repérée vous plaît, vous pouvez lancer un plan de colonisation. Un vaisseau de colonisation sera automatiquement construit et préparera tout ce qu’il faut pour votre population. De plus, vous pouvez tout aussi bien établir sur place un gouverneur en lui donnant des priorités : industrielles si vous voulez une planète de construction, agricole ou minière si vous voulez gérer les stocks de votre empire. Cette automatisation sera vite obligatoire, tant le jeu vous encourage à coloniser encore et encore, pendant que vous spécialisez vos mondes pour équilibrer la nourriture et vos différents revenus.

Une recherche innovante...
Cette volonté de décharger le micro-management se retrouve dans les écrans économiques synthétiques, mais aussi dans le secteur de la recherche. Plutôt qu’un arbre de technologies à débloquer dans un certain ordre, vous voilà à établir des priorités entre la recherche théorique, divisée entre quatre branches telles les mathématiques et la physique, et la recherche pratique dirigée vers des applications concrètes. Avec les points de recherche de votre empire, il conviendra de garder un équilibre pour qu’au fil du temps, de nouvelles découvertes émaillent votre quotidien. La liste des recherches qui finissent par se débloquer apparaît à droite. Si vous en voulez une en particulier, vous pouvez laisser l’ordinateur paramétrer pour vous les options nécessaires permettant d’avoir le temps le plus court pour la rechercher. Utile pour ne pas perdre de temps à tout rechercher en même temps, et qui nuit à l’originalité du système.
...Mais qui se simplifie dans la pratique
II. Pas de fumée sans construction

Concrètement, avec toute cette automatisation appréciable, il est temps de mettre les mains dans le cambouis. Car pour jouer à Polaris Sector, il va vous falloir aimer monter pièce par pièce vos vaisseaux et optimiser vos flottes. Les modèles que vous débloquez grâce à votre recherche et qui sont spécifiques à votre race vous permettent de placer sur un ou plusieurs étages une ribambelle de réacteurs, d’armes, de boucliers, d’armure et de générateurs d’énergie. Du petit chasseur à l’énorme cargo, en passant par les satellites de combat immobiles, vous aurez de quoi faire. Entre le poids total du vaisseau influant sur sa vitesse, et le fait que les armes au dernier étage ont un angle de 360°, vous aurez à faire face à de nombreux choix.
Construisez des satellites de défense, et allez les déplacer avec des cargos ! Les différentes catégories de matériels se placent là où il y a de la place.
Par ailleurs, c’est sans compter les innombrables modules complémentaires qui permettent de personnaliser encore plus finement votre flotte : hangars à chasseurs, petits vaisseaux permettant à une force spéciale de débarquer incognito sur une planète ennemie, radars passifs, transformateurs d’énergie stellaire, réservoirs pour approvisionner vos flottes en carburant, moyens de traction de satellites, etc. Au niveau des armes même, la diversité est de mise. Armes à énergie, à rayons et à missiles comprennent un ensemble d’avantages et de désavantages, vous poussant à spécialiser toujours plus votre flotte, en mélangeant vaisseaux de soutien, vaisseaux porteurs de chasseurs, croiseurs de combat, frégates légères et mobiles, et j’en passe.
Gérez correctement les arcs de tir et la position de vos vaisseaux...
Le jeu est en temps réel pausable, mais lorsque deux flottes se rencontrent la bataille commence sur un autre plan que celui de la carte de la galaxie, lui aussi en temps réel pausable. Dans ce module tactique indépendant, il va s’agir de déployer les vaisseaux de votre flotte (sauf si vous êtes attaqué) et de vaincre l’adversaire. Les scanners vous serviront enfin, les chasseurs pourront être déployés, et un petit ballet très sympathique s’organisera sous vos yeux. Vous pourrez créer des formations, faire rentrer vos chasseaux dans vos hangars pour réapprovisionnement. La gestion des arcs de tir sera primordiale, et l’IA reste assez efficace durant ces phases. Faites bien attention aux chasseurs, capables si bien utilisés de faire basculer la bataille.
...Et faites attention aux vaisseaux isolés et sans écrans de chasseurs : les torpilles de ces petits vaisseaux vous feront du mal.
Conclusion

L’espionnage reste sympathique avec vos vaisseaux-espions et la possibilité de tromper vos adversaires en leur donnant de fausses informations, la diplomatie et les conditions de victoire restent assez basiques, le matériel graphique et sonore est moyen. Clairement, Polaris Sector a de bonnes idées, une recette tournée vers le combat tactique bien fournie et efficace, des idées intéressantes autour de la recherche et de l’automatisation, mais avec l’essor du 4X ces temps-ci, difficile de lui laisser une autre place que celle d’outsider pour le moment. Moins complexe que son aîné Distant Worlds, moins accessible que d'autre concurrents, une recette tournée autour de legos spatiaux. Ce sera à vous d'y trouver votre compte.

Tout peut bien sûr changer, d’autant plus que le jeu est facilement moddable et qu’un mode Star Wars est déjà en cours d’élaboration. Le futur est après tout toujours en marche.

mardi 17 mai 2016

Critique n°30 - Pike & Shot : Campaigns, tactique à l'époque moderne


Après la critique faite sur Sengoku Jidai, le successeur spirituel de Pike & Shot et de Battle Academy, il convenait de revenir sur le prédécesseur direct. Et cela a été fait sur le site de la Gazette du Wargamer à cette adresse. Voici donc sa retranscription.

Introduction

Ce qu’on peut appeler l’art de la guerre en Europe a considérablement évolué entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Depuis Michaels Roberts dans les années 50, le concept de « military revolution », repris par Geoffrey Parker pour désigner la période 1500-1800 en 1996, est très largement débattu. Sans rentrer dans les querelles historiographiques, on peut tout de même noter des changements notables durant cette période : l’évolution des effectifs, la professionnalisation des armées, l’essor des piques et des armes à feu, les progrès des fortifications, les nouvelles techniques d’équitation militaire, tout concourt à donner un nouveau visage à la guerre en Europe.

Malgré cet avant-plan historique alléchant, bien peu de jeux vidéos à caractère stratégique sont allés chercher du côté de cette période. Bien sûr, certains s’y sont déjà essayés. On peut citer notamment la série des jeux de stratégie en temps réel Cossacks, développés par GSC Games World au début des années 2000, et présentant une adaptation nerveuse aux couleurs chatoyantes, avec des campagnes historiques difficiles, et des batailles mettant en prise des milliers d’unités. Notons au passage que Cossacks III est en cours de préparation. Nous avons aussi bien eu le jeu de stratégie en tour par tour et de tactique en temps réel Empire Total War, et surtout récemment le wargame au tour par tour Thirty Years War, mais c’est bel et bien Pike & Shot qui s’est particulièrement intéressé aux batailles de cette époque, au tour par tout, et ce de manière tactique.

On attend Cossacks III ?
Responsables des Battle Academy 1 & 2 et du prochain Sengoku Jidai, les développeurs de Slitherine éditaient fin 2014 l’aventure produite par The Lordz Game Studio et Byzantine Games, studio sous l’égide de Richard Bodley Scott, auteur de la  série de jeux de figurines Field of Glory, bénéficiant d'une adaptation sur PC fin 2009.

I. Pike & Shot, l’original

Au niveau du contenu, nous avons du lourd : les Guerres d’Italie (1494-1559), la Guerre de Trente Ans (1618-1648) et la Première Révolution Anglaise (1642-1651). Une vingtaine d’unités différentes simulent les différentes formations qu’on retrouve à l’époque, entre cuirassiers, gendarmes, formations mixtes de piquiers et de mousquetaires, chasseurs, pièces d’artillerie, etc. Les trois séries de scénarios s’accompagnent d’un mode escarmouche et d’un éditeur de scénario.

Le descriptif détaillé d'une unité.
Au cœur du jeu, nous retrouvons un système assez simple qui permet une prise en main immédiate. Les formations militaires comptent les mêmes types de caractéristiques : la capacité d’attaque au corps-à-corps (pike), la capacité de feu (shot), l’armure, les points d’action pour se déplacer et faire pivoter la formation, la qualité de la troupe, l’effectif et le moral. Si l’on détaille ces caractéristiques, nous voyons s’appliquer les différents bonus ou malus en fonction du type de formation : si la formation compte beaucoup d’infanterie, elle sera plus vulnérable au feu de l’artillerie ; si vous avez des piques, vous aurez un bonus contre la cavalerie. Ces formations de combat se retrouvent sur un relief et un type de terrain : bois, villes, collines, entraînant différents bonus et malus en fonction des formations. Des cavaliers dans les bois ne feront pas long feu, et des piquiers sur une colline repousseront plus facilement des charges venant de plus bas.

Troupes embusquées dans une forêt.
Avec les points d’action de vos forces, vous disposez de plusieurs phases par tour de jeu. La phase de mouvement et de tir vous permet de déplacer vos formations, de les faire pivoter pour éviter les prises de flanc ou les prises par l’arrière, et de tirer avec leurs armes à feu. Vous pouvez aussi charger, si vous n’avez pas peur que le combat au corps-à-corps ne dure jusqu’à la fin de la bataille. La seconde phase est celle des tirs résiduels pour les troupes ennemies à portée de tir, et la dernière calcule le corps-à-corps, puis c’est au tour de l’adversaire. Plus les formations sont abîmées, plus leur moral l’est proportionnellement, jusqu’à la phase de déroute où la poursuite commence. Rajoutez à cela les arcs de tir, les fortifications, et tout ce qui fait chaque unité unique : capacité de harcèlement, charge dévastatrice, etc.

Tous les détails sur le tir sont précisés : couvert, arc de tir. N'est pas arquebusier qui veut.
Pike & Shot offre donc un système de jeu simple mais efficace, d’autant plus que l’IA est particulièrement retorse et offre un challenge satisfaisant avec ses différents modes de difficulté. Toutefois, les batailles sont longues et exigent tout de même une bonne concentration, pour parvenir à détruire ou à mettre en déroute une partie de l’armée ennemie. Les unités engluées au corps-à-corps peuvent l’être pendant une dizaine de tours sans sourciller, et les dégâts de feu sont généralement minimes, comme à l’époque : le but était en effet de désorganiser la formation ennemie plutôt que de l’abattre sous le feu.

II. Les différentes extensions

Tercio to Salvo rajoute en avril 2015 deux nations, la Russie et les Provinces-Unies, et une nouvelle série de scénarios centrée sur des batailles allant de 1562 à 1605 pour couvrir une plus grande variété de conflits. Ces deux nations rejoignent ainsi les onze états déjà concernés par l’opus original : Angleterre, Autriche, Danemark, Écosse, Empire, Espagne, France, Ottomans, Pologne, Suède et Transylvanie, sans compter les variations au sein de ces nations, comme les Huguenots (Protestants à tendance calviniste) et les troupes catholiques pour la France.

Les scénarios commencent toujours par des briefings, expliquant le déploiement et les forces en présence.
Pike & Shot : Campaigns, sorti lui en août 2015, est à la fois la version finale de Pike & Shot et une extension stand-alone incluant jeu de base, extension, et rajoutant nations, unités et surtout quatre campagnes. Celles-ci représentent une sorte de mini-module wargame : vous vous retrouvez sur une carte comportant un certain nombre de provinces, avec des fonds et une armée.

Un tout nouveau mode de jeu avec de jolis drapeaux et des armées à recruter.
Il s’agira alors de recruter, d’occuper le terrain en plaçant des défenses, et de lancer vos armées à l’assaut des provinces ennemies. Lorsque deux forces se rencontrent, vous vous retrouvez sur le champ de bataille comme au moment d’un scénario. De quoi apporter un vrai plus à un jeu qui a maintenant des chiffres à faire valoir : 20 nations, 154 listes d’armée « historiques » pour les escarmouches, et les 40 batailles historiques du jeu de base, en plus des 4 campagnes.

En septembre 2015, une mise à jour gratuite est sortie, intitulée Le Roi-Soleil. Inutile de vous dire de qui il s’agit : l’extension rajoute des unités, des listes d’armée, puis un module d’escarmouche appelé « Roi-Soleil » et permettant d’ajouter des conditions pour des escarmouches entre des armées européennes de 1649 à 1698, ce qui ne correspond pas d’ailleurs aux dates de règne de Louis XIV, mais passons. Une mise à jour gratuite assez appréciable.

Conclusion

Alors que Sengoku Jidai va bientôt sortir, reprenant le même schéma que Pike & Shot en y rajoutant aux mécanismes de jeu le commandement par les généraux, on peut rédiger un bilan. Malgré une musique répétitive et donc lassante, des graphismes fonctionnels sans être d’une extrême beauté, Pike & Shot Campaigns dispose d’atouts considérables : la simplicité de son interface et de son système de jeu, ses scénarios, ses campagnes, ses batailles d'escarmouches avec moult listes d’armées, son éditeur de scénario et son mode multijoueur, tout cela assure que le jeu est un des rares à couvrir la période XVI-XVIIe siècle, et d’autant plus rare qu’il se concentre sur l’aspect tactique.

Si vous n’avez pas peur d’une IA retorse, de batailles assez longues et hargneuses, et que vous avez envie de vous plonger dans l’univers impitoyable d’une « révolution militaire » qui a eu lieu ou non, alors ce wargame est pour vous.